Ce que la terre retient
J’ai souvent eu la sensation d’une poignée de main en saisissant un des bols de Lukas. On y rencontre le corps du céramiste en creux. Leurs formes laissent deviner ses gestes qu’il n’a d’ailleurs pas cherché à dissimuler, à rendre invisibles. Ainsi, le dessin d’un bol ne se résume pas à la conception esthétique d’un objet utilitaire : c’est une œuvre d’art, revendiquée comme telle.
Pourtant, je ne vois pas dans l’expressivité de ses objets tournés une manière égocentrique de collectionner les autoportraits, mais plutôt le témoignage sincère, répété, d’une fascination pour ce que la matière peut nous révéler de nous-mêmes. Ces bols sont pour moi les signes d’une humilité au sens radical du mot. En s’élevant sur le tour de Lukas, la terre ne perd pas pied, elle reste connectée à l’humus dont elle provient et auquel toutes choses retournent.
Il y a toujours beaucoup à lire dans ses céramiques, et je parcours du regard chacune d’elles en les tournant à mon tour dans mes mains, comme on fait une promenade.
La terre retient les formes que l’on y appose plus ou moins durablement. On peut y voir une origine primordiale du signe. On peut lire des empreintes de pattes dans l’argile comme les traces d’un corps absent et c’est là l’une des toutes premières lectures.
On se met à imaginer un animal, sa dimension, sa trajectoire. On se projette dans une manière étrangère de parcourir le territoire, et ça devient toute une histoire…
Mathieu Lion
À la lisière
Comment une image peut-elle être sœur d’un objet ?
Et comment l’une et l’autre questionnent ce que l’on connaît parfaitement ?
Un chemin photographié est aussi évident à identifier qu’un bol. Nous les avons parcourus, et les avons saisis. Mais cela ne suffit peut-être pas.
Vous présenter ce travail revient à dire que chaque chose vue nous pose (encore) question.
Dès lors, nous n’avons de cesse que d’essayer d’y répondre, prise de vue après prise de vue, bol après bol.
En vain ? Non. Il est important de poursuivre, conscients aussi qu’il n’y aura pas de fin.
Vivre une photographie de Mathieu nous rappelle un endroit, une lumière furtive que l’on ne saurait mieux raconter, celle que nos yeux ont perçue mais qui n’a pas pu nous appartenir. Ses prises de vue m’évoquent davantage un plan fixe qu’un cliché tellement la vie y est fidèlement représentée.
Je ne sais pas si un certain détail m’était adressé, mais je m’y arrête et pourrais être certain d’être le seul à l’avoir vu. Nos pratiques ont en commun de proposer une interprétation plastique de sujets proches de tout un chacun. La photographie capte le regard qui reconnaît instantanément le connu, le bol attend nos deux mains dont l’espace en négatif déclenche ce réflexe irrépressible de l’accueillir comme s’il fallait combler un manque.
Lukas Richarz